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jeudi 22 juillet 2010

Colère


Toute la journée et une bonne partie de la nuit elle se répète « merde, merde » dans sa tête. Sur des tons ou des rythmes différents mais constamment. C’est comme un mantra, un psaume ad infitum, une litanie qui résonne dans son cerveau aussi vaste, aussi vide qu’une cathédrale romane.  
« merde, merde » chez les commerçants, en se couchant, en se levant, en se maquillant car oui, elle se maquille encore. Un trait de mascara, un rouge à lèvre délicat pour ne pas oublier qu’elle appartient au monde, qu’elle y a droit à une place.
« Merde, merde » jusqu'à l’épuisement, peut-être même jusqu’a sa mort. Sur des tons, sur des rythmes différents mais surtout avec colère.
D’ailleurs, c’est son nom : Colère. Le nom que lui a laissé son mari parti pour de nouvelles aventures sans même prendre le temps de divorcer mais sans cracher une thune. Emilie Colère vit maintenant dans un logement insalubre, lâché par la mairie pour qu’elle  laisse enfin tranquille leurs services sociaux. Et en plus il faudrait qu’elle dise merci.
Emilie Colère fait des ménages dans des bureaux. Ce sont de beaux bureaux dans les ministères. Elle n’est pas employée de l’Etat mais de boites privées. Mal payée, pas déclarée, elle est en colère. Elle sait qu’elle travail au jour le jour, que plus tard quand elle tombera malade ou de vieillesse ça n’auras servi à rien. Que cette tranche de sa vie n’existera pas aux yeux de ceux dont elle nettoie les bureaux.
Ce boulot, il n’est pas assez bien payé alors  elle cavale la ville.( pour  se rendre aux abattoirs. Là, elle rince, lave, astique et désinfecte des machines puis des salles souillés de sang et de merde. Elle y va. Courageuse, elle ne tourne jamais de l’œil.  Quand vraiment elle n’en peu plus, elle prend une pause, retenue sur son temps de travail. De sa poche, elle sort une cigarette qu’elle fume les yeux fermés.)
« Merde, merde ».   Elle ne sait jamais si le mois prochain elle aura encore du travail. Alors, la faim au ventre, elle accepte tout : horaires fractionnés, tafs en soirée ou carrément de nuit, extra du dimanche, flexibilité et surtout la soumission. C’est vrai qu’elle ne les regarde jamais dans les yeux les petits chefs ratés ! Sa survie dépend trop de leurs caprices pour se le permettre.
A la maison il n’y a pas qu’elle. A la maison, il y a son petit Julien. Avec ses trois chromosomes alors que normalement ils vont par paires. Il a sept ans. Trouver une structure qui l’accueil n’a pas été chose facile. Emilie jongle avec ses horaires mais souvent, c’est limite. Elle se fait engueuler quand elle vient le chercher trop tard. Payer une garde d’enfant n’est pas dans ses moyens alors…
« Merde, Merde » elle se le dit nuit et jour. De plus en plus en colère, Madame Colère ! Et quand la révolution éclatera, sur les barricades, elle sera la première. Sa violence future n’aura d’égale que la fatigue et l’humiliation actuelle.

Juin10

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